Que recouvre l’expression « vin naturel » dans le monde viticole ?

Impossible d’entrer dans le vif du sujet sans évoquer ce qu’on entend réellement par « vin naturel ». Le terme peut parfois faire tourner les têtes ou froisser quelques puristes, car, il faut le dire, il n’existe à ce jour aucune appellation d’origine contrôlée ou de règlementation officielle en France. Mais on s’accorde volontiers sur l’idée suivante : un vin naturel, c’est un vin issu de raisins cultivés sans pesticides, herbicides ni engrais chimiques. La démarche va plus loin encore, car le vigneron intervient au minimum lors de la vinification, sans additifs, sans levures exogènes et avec très peu, voire pas du tout de soufre ajouté (Syndicat de défense des Vins Naturels).

L’intérêt pour ce mode de production, autrefois vu comme marginal, explose : en 2023, près de 5% des exploitations viticoles françaises s’inscrivaient dans cette approche (source : Syndicat de défense des Vins Naturels).

Les produits chimiques : à quoi servent-ils dans la vigne ?

Pour bien prendre la mesure de la révolution douce qu’incarne le vin naturel, il faut savoir ce que le monde conventionnel utilise au quotidien. Un hectare de vigne peut en moyenne recevoir une douzaine de traitements phytosanitaires par an, mêlant fongicides, insecticides et herbicides (selon l’INRAE).

  • Fongicides : utilisés contre le mildiou, l’oïdium ou encore le botrytis, ennemis jurés de la vigne.
  • Herbicides : surtout pour lutter contre l’envahissement des mauvaises herbes et faciliter la vendange mécanique.
  • Insecticides : pour contenir les populations de ravageurs, comme la redoutée cicadelle.

Selon les données de l’Ifen (Institut français de l’environnement), le secteur viticole représente à lui seul plus de 15% de l’ensemble des pesticides utilisés en agriculture, alors qu’il ne couvre que 3% des surfaces cultivées en France ! C’est dire si la division des produits chimiques y a longtemps été maîtresse.

Adieu herbicides et pesticides : la viticulture naturelle, un vrai saut sans filet

La démarche en vin naturel, c’est la rupture. Les vignerons qui l’adoptent font le pari d’observer, d’anticiper, de travailler la terre et de protéger leurs vignes autrement. Résultat : des parcelles souvent vivantes et foisonnantes de biodiversité.

  • Finis les herbicides : la gestion de l’enherbement se fait principalement à la main, au cheval ou à la tondeuse, selon la taille de la parcelle. Ce n’est pas qu’une question d’authenticité : le maintien d’une flore variée autour des rangs de vignes favorise la vie microbienne et attire les pollinisateurs.
  • Zéro pesticides : en lieu et place des produits chimiques, on mise sur la prévention, l’équilibre du sol et, parfois, sur l’introduction d’auxiliaires naturels (coccinelles, oiseaux insectivores).

Les vignerons engagés dans le naturel utilisent exclusivement des traitements autorisés en agriculture biologique, comme le soufre minéral ou la bouillie bordelaise (un mélange de cuivre et de chaux), mais cherchent à en restreindre l’usage au strict nécessaire. Ainsi, la moyenne de bouillie bordelaise appliquée par hectare pour un viticulteur naturel descend souvent sous la barre de 2 à 3 kg par an (contre un maximum légal de 4 kg/ha/an selon la réglementation bio — source : Agence Bio).

Faire confiance à la nature : des alliés insoupçonnés dans la lutte contre les maladies

Quand on regarde de près, la vigne – tout comme l’être humain – possède ses propres défenses naturelles. Les vignerons nature les accompagnent :

  1. Le compost : Alimenter le sol en matières organiques (compost ou fumier suivant les parcelles) dynamise la vie souterraine, renforce les racines et aide la plante à mieux résister aux stress (sécheresse, maladies).
  2. L’infusion de plantes : Ortie, prêle, saule, ail… Ces tisanes provident sur les feuilles ou les racines, contribuent à renforcer les défenses immunitaires des vignes. Par exemple, le purin d’ortie stimulerait la résistance de la vigne au mildiou (source : ITAB).
  3. Protection mécanique : Certains vignerons installent des filets, des nichoirs à mésanges ou laissent pousser des haies pour favoriser la présence d’oiseaux qui se régaleront des insectes parasites.

Le résultat sur le terrain parle de lui-même : selon le Ministère de l’Agriculture, les domaines passés en bio ou nature enregistrent sur cinq ans une augmentation de plus de 30% des auxiliaires naturels présents dans les vignes et une diversité microbienne doublée dans les sols, deux piliers pour une vigne saine et moins sensible aux maladies.

Vinification sans produits chimiques : entre audace et patience

Le travail ne s’arrête pas une fois les raisins rentrés à la cave. La vinification conventionnelle recourt souvent à une longue liste d’additifs : levures industrielles, enzymes, correcteurs d’acidité, antioxydants variés… En France, le Code de la Vinification autorise jusqu’à 70 intrants différents pour les vins conventionnels (source : VIN & Société).

Les producteurs naturels prennent ici le contre-pied :

  • Aucune levure industrielle : La fermentation est assurée par les levures naturellement présentes sur la peau du raisin (flora indigène)
  • Aucun adjuvant de clarification : Pas (ou très peu) de bentonite, de gélatine, de colle de poisson – on laisse le vin évoluer à son rythme
  • Soufre réduit au minimum : La plupart du temps, moins de 30 mg/L, quand les limites légales vont jusqu’à 210 mg/L pour un vin blanc conventionnel classique (source : EU - Règlement 606/2009).

Une démarche qui nécessite du temps, de la patience et parfois… un brin de courage quand la cuvée fait des siennes. Mais le profil aromatique en ressort souvent plus expressif, et l’absence de poids chimique séduit de plus en plus d’amateurs.

Des chiffres et des faits pour mesurer l’impact

Les conséquences positives sont multiples :

  • Réduction massive des substances chimiques: D’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), le passage à la viticulture naturelle permet de réduire jusqu’à 80% l’ensemble des molécules de synthèse détectées sur les raisins au moment de la vendange.
  • Impact sur la biodiversité : Entre 2017 et 2022, les régions ayant le plus fort taux de passage au bio/nature (Languedoc, Vallée de la Loire et Provence) ont vu leur diversité d’insectes pollinisateurs croître de 40% en moyenne (source : INRAE). On oublie parfois que les insectes sont les meilleurs compagnons des vignerons contre certains ravageurs.
  • Moins de résidus dans le vin : Selon une étude publiée par UFC-Que Choisir en 2020, plus de 90% des vins dits « nature » testés ne contenaient aucun résidu de pesticide détectable, contre moins de 30% des vins conventionnels.

Dans les pas des vignerons naturels : anecdotes et bonnes pratiques

Les exemples de réussite ne manquent pas : dans le Beaujolais, le pionnier Jean Foillard raconte avoir observé le retour des tritons et des papillons près de ses vignes dès sa troisième année de conversion au naturel. À Bandol, l’un des fiefs du vin solaire, des domaines cultivent même des parties de leur parcelle uniquement à la pioche et revendiquent un taux de cuivre inférieur à la moyenne régionale. Là où certains pensaient que la vigne allait dépérir, c’est tout l’inverse qui s’est produit : terrain plus vivant, meilleure rétention d’eau, vendanges moins stressantes… et des vins naturels qui révèlent le goût véritable du terroir, libérés des artifices chimiques.

L’avenir du vin naturel sans chimie : défi ou nouvelle norme ?

Si le vin naturel reste minoritaire dans le paysage français (environ 1 700 domaines concernés selon Nature & Progrès, contre près de 65 000 domaines en conventionnel), il ne cesse d’attirer les nouvelles générations de vignerons. En 2022, plus de 150 nouveaux vignobles ont débuté une conversion vers le sans intrant, et certaines AOC historiques du Sud-Est, comme Cassis ou Palette, accueillent désormais leurs premiers producteurs totalement engagés (sources : Nature & Progrès, Terre de Vins).

La demande côté consommateurs suit la même tendance. Selon l’étude « Wine Intelligence 2022 », près de 20% des acheteurs réguliers de vin français disent privilégier les bouteilles affichant la mention « naturel », soit le double d’il y a 5 ans.

De toute évidence, la saveur et la conscience environnementale se rencontrent désormais dans un verre de vin. La production de vin naturel, en réduisant drastiquement l’usage de produits chimiques, invite à repenser la place du vigneron : moins comme un technicien, davantage comme un artisan-compagnon du vivant. La révolution continue, et elle s’écrit chaque jour dans le vignoble marseillais… et au-delà.

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