Marseille, ville-cave : une mémoire du vin à chaque coin de rue

Marseille n’a pas l’image d’une « ville du vin » comme Bordeaux ou Beaune… et c’est peut-être tant mieux ! Ici, le vin se mêle depuis plus de 26 siècles à la pierre, au soleil, à l’accent des ruelles. Patrimoine, traditions, et passion pour les quilles vivantes se retrouvent dans les caves historiques marseillaises, ces lieux parfois secrets qui font vibrer l’âme œnophile de la ville.

Qu’on se le dise : la vigne, implantée dès la fondation phocéenne au VIe siècle av. J.-C. (source : Vignerons de Provence), fait presque autant partie du décor marseillais que la Bonne Mère. Si la viticulture urbaine a décliné, les vestiges des caves, ateliers ou maisons de négoce racontent, derrière leurs portes voûtées, une épopée de saveurs et d’audace. Alors, que trouve-t-on réellement dans ces caves historiques ? Petites merveilles, découvertes oubliées, et une sélection étonnante où les vins naturels tiennent aujourd’hui une place d’honneur…

Une histoire du vin à Marseille : entre négoce, innovation et ancrage populaire

Avant de descendre dans les caves, il faut goûter à l’histoire. Marseille n’a jamais compté que sur sa propre vigne : très tôt, son port était une porte d’entrée pour des vins venus de Grèce, puis d’Italie, d’Algérie (jusqu’à 300 millions de litres importés au XXe siècle selon Les Échos), ou du Languedoc.

Mais les caves de Marseille, c’était surtout tout un réseau d’entrepôts, de lieux de dégustation, parfois sous les immeubles du Panier, de la Plaine ou de Noailles. Car le vin à Marseille, c’est populaire et décomplexé : il accompagne la bouillabaisse ou l’aïoli, il coule en petit verre chez l’épicier ou le cabaretier, il vieillit sous la fraîcheur de voûtes centenaires.

Dans ces caves historiques, aujourd’hui reconverties pour certaines, l’offre s’est modernisée sans perdre la mémoire. On y trouve :

  • Des bouteilles locales, issues du terroir provençal
  • Des trouvailles d’autres régions françaises, historiques : Gamay du Beaujolais, Pinot noir de Bourgogne, clairette blanche de Bellet
  • Des cuvées d’importation, dans la tradition du négoce phocéen
  • Une mise en avant affirmée, ces dernières années, des vins naturels, bio, voire en biodynamie

Quels styles de vins dénicher dans les caves historiques marseillaises ?

Faire son « marché » dans une cave authentique marseillaise, c’est plonger dans un kaléidoscope de styles. Si la Provence rayonne par ses rosés mondialement connus (40% de la production AOP Provence, source : Vins de Provence), le spectre des découvertes va bien au-delà.

1. Les blancs salins et lumineux

  • Les Cassis : Ce village voisin est le porte-étendard du blanc minéral et iodé, né de la rencontre entre le calcaire tendre des falaises et le mistral. Grenache blanc, marsanne et clairette s’assemblent pour donner un nez frais, une bouche toujours vivace, parfaite pour un oursin ou un poisson grillé.
  • Côteaux d’Aix-en-Provence : Ici les blancs marient sauvignon, rolle (aussi appelé vermentino) et ugni blanc, pour un profil plus floral, voire exotique selon les millésimes.
  • Les raretés du littoral marseillais : On y trouve parfois de la clairette blanche, cépage traditionnel des abords du port, et des micro-cuvées nées sur des parcelles urbaines réhabilitées (projets associatifs de type Château de la Buzine).

2. Les rosés, une explosion de nuances

  • Rosés de la Méditerranée : Finis les clichés du rosé insipide et marketing : depuis dix ans, le renouveau du naturel dans les caves marseillaises met à l’honneur des rosés de terroir, parfois issus de grenache noir, mourvèdre ou cinsault. Moins filtrés, moins standardisés, ces vins surprennent par leur tension et leur fruit, parfois même une robe soutenue à l’ancienne.
  • Bandol à l’honneur : Quelques caves historiques proposent encore de vieilles bouteilles de Bandol rosé, dont l’intensité et la puissance aromatique sont incomparables. Pour l’anecdote : le mourvèdre, cépage roi de Bandol, était aussi cultivé en arrière-pays marseillais jusque dans les années 1960.

3. Les rouges méditerranéens, entre fraîcheur et caractère

  • La renaissance du carignan : Délaissé pendant des décennies, ce cépage refait surface dans les caves engagées, grâce à des vignerons qui revendiquent le carignan comme un pilier du Sud. À Marseille, il séduit dans des assemblages naturels, sans soufre ajouté, offrant des vins digestes et joyeux.
  • Syrahs et grenaches : Épicés, parfois sombres, taillés pour les plats méditerranéens costauds. Plusieurs caves historiques proposent de trouver des vieilles syrahs du Rhône Sud, au rapport qualité-prix imbattable.
  • Petits bijoux du Languedoc : Car impossible de parler de Marseille sans évoquer la tradition du négoce languedocien : certains cavistes historiques proposent encore des cuvées artisanales de Pic-Saint-Loup ou de Terrasses du Larzac, perles du dynamisme des vins naturels d’aujourd’hui.

Des adresses authentiques : les caves historiques à (re)découvrir

Si la modernité a transformé la physionomie de Marseille, plusieurs adresses subsistent encore, fières de leur passé, mais surtout de leurs étagères. Petit tour d’horizon :

Nom Adresse Particularité
La Cave de la Plaine 45 Place Jean Jaurès, 13005 Cave populaire depuis les années 30 : sélection de vins nature provençaux, prix doux et accueil de vignerons en dégustation mensuelle.
La Cave des Papilles 61 rue Sainte, 13001 Dans une ancienne cave de négociant du Vieux-Port. Belle collection de Cassis et Bandol naturels, mise en avant de micro-cuvées locale.
Cave Damiani 12 rue d’Italie, 13006 Institution familiale depuis 70 ans. Très beaux vieux millésimes, dont quelques flacons collectors de Provence. Atmosphère hors du temps.
La Cave Noailles 4 Rue du Musée, 13001 Carnet d’adresses orienté vins nature, vins de vignerons d’ici et d’ailleurs. Sélection pointue et conseils passionnés.

Vins naturels : le nouvel art de vivre des caves marseillaises

Impossible d’aborder les caves historiques sans noter une (r)évolution discrète mais profonde : la vague du vin naturel secoue le paysage local. Loin d’être une mode éphémère, ce mouvement s’enracine sur une philosophie en accord avec le terroir méditerranéen. Zéro intrant ou presque, vendanges manuelles, peu ou pas de filtration… et souvent une énergie folle, où la personnalité du vigneron fait le vin et l’âme du lieu où on le boit.

Quelques anecdotes valent le détour :

  • À la Cave de la Plaine, chaque semaine voit défiler de nouveaux « OVNIS » du vin, ces cuvées qui ne ressemblent qu’à elles-mêmes. Frissons garantis sur un carignan vivant de l’arrière-pays marseillais, ou sur une bulle nature rosée à la robe trouble.
  • Dans certaines caves historiques, on déniche parfois des millésimes « oubliés », vieillis en cave sous la poussière, et qui prennent une dimension incroyable à la dégustation (pour les amateurs de vins oxydatifs, par exemple).
  • La tradition du « vin en vrac » persiste encore à Marseille, vestige d’un temps où l’on venait remplir sa bouteille à la tireuse. Quelques caves perpétuent cette ambiance conviviale, notamment via des cubis de producteurs locaux engagés dans la vigne nature.

Le chiffre qui étonne : selon l’Observatoire du vin bio, la Provence compte désormais plus de 270 domaines engagés en bio ou en conversion (chiffre 2023, source). Et Marseille rayonne comme relais naturel de cette dynamique, en particulier autour des caves qui font le pari du goût authentique.

Cépages emblématiques et signatures locales : la palette marseillaise

Que trouve-t-on, concrètement, dans les bouteilles sélectionnées par les caves historiques marseillaises ? Panorama non exhaustif des cépages et styles à goûter absolument :

  • Clairette : Cépage blanc phare, aussi bien en sec qu’en vins doux naturels (Clairette de Bellegarde, Clairette de Die, proches cousins). Elle s’exprime à Marseille dans sa finesse florale, avec une touche salée si prisée.
  • Marsanne, rolle, ugni blanc : Assemblés dans les AOP Cassis et Côteaux d’Aix, ils offrent un blanc nerveux et sapide, qui résiste à la canicule.
  • Mourvèdre : Séducteur musclé du Sud, il se révèle dans certains rouges puissants, mais aussi rosés de Bandol servis dans les caves marseillaises.
  • Carignan, cinsault, grenache noir : Pilier des rouges « nature » marseillais, ils rendent grâce à une vinification sans artifice, pour des vins gouleyants à souhait.

Et les surprises ne manquent pas. Certains cavistes glissent au milieu des classiques provençaux :

  • Des pet’ nat’ — « pétillants naturels », en méthode ancestrale
  • Des vins oranges, macérés sur peaux, ramenés de la Crau ou du Var
  • Des expérimentations façon vigneron/baroudeur, où rien n’est écrit d’avance…

Ambiance, dégustation et transmission : pourquoi pousser la porte d’une cave historique marseillaise ?

Une cave marseillaise, ce n’est pas un musée mais une pièce vivante de patrimoine. On y vient pour discuter, flairer, goûter, débattre, râler gentiment sur tel millésime trop cher ou s’enthousiasmer pour un « vin de garage » inconnu. Pousser la porte d’une de ces caves, c’est aussi profiter :

  1. De dégustations à thème : avec parfois des dizaines de bouteilles ouvertes pour fêter une animation (nouvelle année, festival local, etc.)
  2. D’un partage vrai, avec des cavistes qui connaissent chaque vigneron personnellement
  3. D’une transmission vivante du patrimoine : beaucoup de caves historiques sont le lieu d’échanges entre générations, pour perpétuer une certaine idée du vin de Marseille
  4. D’une offre souvent réajustée selon les saisons, les arrivages, et même les aléas climatiques (la sécheresse de 2022, par exemple, a bouleversé la disponibilité de certaines cuvées : France 3)

Pour aller plus loin : la cave historique marseillaise comme sentinelle du goût

Redécouvrir les caves anciennes de Marseille, c’est réapprendre le goût du vin sans fard, issu d’un héritage modeste où chaque gorgée raconte un fragment de la ville. Les bouteilles y sont parfois rustiques, toujours sincères, et les échanges, vivants comme le vin naturel qui les anime.

À la croisée des traditions, des envies contemporaines et d’un nouvel art de vivre responsable, ces caves continuent d’écrire l’histoire œnologique de Marseille au fil des générations. Que l’on cherche la bouteille parfaite pour un pique-nique sur la Corniche ou une quille à ouvrir au retour du marché, Marseille dévoile, dans ses caves chargées d’histoire, les arômes vibrants d’un Sud réinventé, plus nature… et résolument vivant.

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