Quand la nature reprend la main : l’urgence climatique et la vigne

Les vendanges qui chauffent dès juillet, la sécheresse qui s’étire sans fin, et parfois un orage violent qui détruit des mois de travail… Difficile aujourd’hui de parler de vin sans penser à l’impact du changement climatique. Dans ce paysage bouleversé, la question de l’empreinte carbone de la viticulture devient centrale. Et le vin naturel, avec son image d’artisan du vivant, pourrait bien être une solution pour une filière plus responsable. Mais derrière les jolies étiquettes et les causeries en terrasse, que pèse réellement le vin naturel face au défi du carbone ?

Comprendre l’empreinte carbone du vin, une histoire de sous-sols, de tracteurs et de bouteilles

Avant de plonger dans le verre (et le débat), rappelons rapidement ce que recouvre “l’empreinte carbone” d’une bouteille de vin. Selon l’ADEME, 1 bouteille de 0,75 L émet en moyenne 1,27 kg de CO₂e sur tout son cycle de vie en France (ADEME, 2019). Mais d’où vient tout ce carbone ?

  • La viticulture (travaux de la vigne, traitements, irrigation, fertilisants) : 25 à 35 %
  • La vinification (énergie, intrants œnologiques…) : 10 à 15%
  • L’emballage (bouteille, bouchon, étiquette) : 30 à 40% ! (Le verre, grand champion du CO₂)
  • Le transport (vers le client final) : 15 à 20 %

À l’arrivée, c’est une succession de petits gestes, cumulés de la vigne au verre, qui gonflent le bilan carbone d’un simple apéritif.

Viticulture naturelle : des pratiques qui sortent du rang

Le vin naturel charrie son cortège d’images champêtres (et parfois de discussions animées sur la définition). Mais concrètement, quels gestes ou choix font véritablement la différence en matière de carbone ?

Agriculture biologique et absence de chimie : moins d’énergies fossiles utilisées

Qui dit vin naturel, dit quasi systématiquement agriculture biologique ou biodynamique – soit l’abandon des engrais chimiques et des pesticides de synthèse. Or, la fabrication d’un kilogramme d’engrais azoté nécessite environ 10 kg de CO₂ ! (FAO). Pour un hectare de vigne en conventionnel, cela peut représenter 500 à 700 kg de CO₂/an rien que pour les engrais azotés. Les domaines naturels partent déjà avec une longueur d’avance : moins d’énergie grise cachée dans leurs sols.

Travail du sol et désherbage mécanique : le revers de la médaille

Finis les herbicides, bonjour les passages réguliers de tracteurs pour désherber. Mais attention à l’effet rebond : un passage mécanique multiplie les émissions de CO₂ en carburant ! Certaines études estiment ce surcoût carbone entre 50 et 100 kg CO₂/ha/an (INRAE, 2023). Les vignerons les plus engagés testent le désherbage manuel, l’enherbement ou la traction animale, mais ces pratiques restent minoritaires par manque de moyens ou de temps.

Moins d’intrants œnologiques, moins d’impact caché

Dans la cave aussi, le vin naturel fait la chasse aux additifs (sulfites, enzymes, levures industrielles). Résultat : moins d’énergie pour la fabrication et le transport de ces intrants. Mais l’effet sur l’empreinte totale reste moindre comparé à celui du verre ou du tracteur.

L’emballage : le talon d’Achille… ou la nouvelle frontière ?

Qu’on le veuille ou non, le plus “lourd” dans la bouteille de vin au sens carbone, c’est… la bouteille elle-même ! Selon l’ADEME, la bouteille en verre représente jusqu’à 40 % de l’empreinte totale. Mais là encore, les vins naturels ne sont pas en reste :

  • La mode des bouteilles légères progresse : on passe de 500g à 380g, soit près de 25 % d’émissions en moins.
  • Réutilisation du verre (consigne locale) : de plus en plus d’initiatives à Marseille et ailleurs tentent de relancer la bouteille consignée – avec une réduction de 79 % d’émissions par rapport au recyclage selon Adelphe (Adelphe, 2022).
  • Bib, canettes et fontaines à vin : très loin du romantisme du tire-bouchon, mais le Bag-in-Box a une empreinte trois à quatre fois inférieure à la bouteille classique !

Certaines caves nature marseillaises, comme “Le Vin Sobre”, s’impliquent particulièrement dans cette démarche.

Transport, circuits courts et bouteille voyageuse

Fini le vin “qui a plus voyagé que moi”, comme disent certains vignerons ! Les défenseurs du vin naturel misent sur la proximité : vente directe, marchés locaux, restaurants engagés. Cela réduit-il vraiment le CO₂ ? D’après une étude de l’ADEME (Guide ADEME, 2019), le transport peut représenter jusqu’à 50 % de l’empreinte sur un vin exporté en dehors de l’Europe.

Mais attention au “mirage transport” :

  • Un camion chargé depuis la Provence jusqu’à Bordeaux génère 0,02 kg CO₂/L ; un avion jusqu’à New York, plus de 2,5 kg CO₂/L (Wine Australia).
  • Les vins naturels exportés en Grande-Bretagne au format bag-in-box ou en vrac à embouteiller sur place divisent par 2 à 3 l’empreinte transport/emballage combinée !

Opter pour un vin local reste donc le geste le plus efficace côté amateur.

Des chiffres, des limites… et des exemples parlants

Pour voir plus clair, voici un petit comparatif emprunté à un rapport de Bordeaux Sciences Agro (2021) basé sur des pratiques médianes françaises :

Type de vin Émissions moyennes (kg CO₂e/bouteille) Remarques
Conventionnel 1,30 Pesticides et engrais chimiques forts
Bio 1,10 Moins d’intrants mais désherbage mécanique
Vin naturel (bio + cave peu interventionniste) 1,05 Bouteille légère, circuits courts

La différence n’est certes pas spectaculaire en valeur absolue (0,25 kg / bouteille, le poids d’un pain au levain), mais la multiplication sur des centaines de milliers de cols devient vertigineuse : sur 100 000 bouteilles, c’est 25 tonnes de CO₂ évitées. Ajoutez la consigne, et vous doublez le gain.

À Marseille, plusieurs domaines nature s’engagent concrètement :

  • Domaine Milan : irrigation parcimonieuse, traction animale expérimentée, bouteilles ultra-légères et ventes directes sur site.
  • Château de Roquefort : conversion totale à l’agroforesterie – des arbres plantés au cœur des parcelles réduisent le besoin d’eau et fixent du carbone. Cette configuration “agroécologique” permettrait (source : INRAE, 2022) de séquestrer jusqu’à 3 tonnes de CO₂/ha/an !
  • Caves marseillaises engagées : points de collecte pour la consigne, selectionnés par des bars comme “La Part des Anges”.

Un parcours semé de bonnes intentions… mais qui n’efface pas tout l’impact !

Les limites et “angles morts” du vin naturel

  • Petite échelle, grand impact ? Beaucoup de vins naturels restent produits à très petite échelle avec des résultats hétérogènes (et parfois plus d’allers-retours pour la livraison !).
  • Complexité logistique : la distribution locale n’est pas toujours optimisée, surtout quand chaque vigneron livre lui-même ses clients.
  • Des gestes pas toujours standards : le recours à la traction animale par exemple reste rare et exigeant, et demande plus de main d’œuvre.

Du bon sens dans le verre : choisir le vin naturel sans se tromper

Si toutes ces nuances peuvent donner le tournis, quelques repères pour consommer en conscience :

  1. Miser sur les bouteilles légères (moins de 450g, l’info figure parfois sur le col, sinon demander au caviste !)
  2. Privilégier l’achat direct ou le circuit le plus court possible : la bouteille aura rarement pris l’avion sous ce mode de distribution.
  3. Oser la consigne, le BIB ou la fontaine à vin, surtout sur les cuvées “de soif” peu fragiles. À Marseille, on en trouve de plus en plus dans les caves nature !
  4. S’intéresser aux pratiques agricoles : bio, biodynamie, agroforesterie – toutes améliorent le bilan carbone par rapport au conventionnel.
  5. Échanger avec les vignerons ou cavistes engagés ; le dialogue reste la meilleure arme anti-greenwashing.

La viticulture naturelle, pionnière imparfaite mais essentielle

Le vin naturel n’est pas la baguette magique d’une viticulture zéro-carbone, mais il pose des jalons concrets et visibles pour une filière moins polluante. En limitant les intrants chimiques, en soignant le recyclage et la consigne, en favorisant les circuits courts ou le transport en vrac, il ouvre la voie à des pratiques reproductibles à plus grande échelle.

La transition agricole ne se fera ni en un millésime, ni sans effort collectif. Mais la dynamique, visible à Marseille comme ailleurs, pousse la viticulture à innover pour conjuguer plaisir et respect de la planète. Après tout, le vin, c’est partager : pourquoi pas aussi celui d’un avenir avec une bulle de carbone un peu plus légère ?

En savoir plus à ce sujet :