L’eau, trésor de la vigne menacé

Au pays de la vigne, chaque goutte d’eau compte ! Les bouleversements climatiques, la sécheresse dans le Sud-Est et des épisodes caniculaires toujours plus fréquents poussent la filière viticole à repenser sa manière de consommer – et de préserver – l’eau. Certaines régions françaises, comme la Provence et le Languedoc, enregistrent un déficit hydrique régulier : à Marseille, par exemple, 2023 a été l’une des années les plus sèches de la décennie (source : Météo France). Face à cette pression, les nouveaux modes de vinification s’exposent, et la vinification naturelle fait figure de pionnière dans la chasse au gaspillage.

Mais concrètement, que change la vinification naturelle pour l’eau ? Loin des gadgets marketing, elle s’illustre par un refus du superflu et une quête d’équilibre, à la vigne comme en cave. Et si le choix du vin pouvait être un acte citoyen, pour la planète comme pour la carafe ?

Petit lexique de l’eau dans la vinification classique

Pour prendre la mesure de la « révolution naturelle », impossible de faire l’impasse sur un petit détour par le modèle conventionnel. Car lorsque l’on évoque l’eau dans la viticulture, celle-ci intervient à plusieurs stades :

  • L’irrigation : En Europe, la plupart des vignobles plébiscitent la « non-irrigation ». Pourtant, dans les régions chaudes, l’arrosage devient parfois la règle pour sauver les récoltes.
  • Le traitement phytosanitaire : Pulvérisations de pesticides et de fongicides requièrent d’importantes quantités d’eau, parfois jusqu’à 8000 L/ha/an (source : IFV).
  • Le nettoyage du matériel : Entre pressurage, soutirage et mise en bouteille, l’hygiène mobilise des volumes considérables : on estime qu’il faut 1,5 à 2,5 L d’eau pour chaque litre de vin produit (source : Adelphe, ADEME).
  • La gestion des effluents : Les vinifications génèrent des eaux usées chargées en résidus, difficiles à traiter.

À l’arrivée, la filière viticole représente en France jusqu’à 3 % de la consommation d’eau agricole (source : FranceAgriMer), soit près de 150 millions de m³ par an. C’est faramineux… et souvent invisible du grand public !

La vinification naturelle : principes écologiques, économies réelles

Le vin naturel, ce n’est pas juste une promesse sur l’étiquette : c’est tout un mode de culture et de chais pensé pour limiter l’impact environnemental. Où se situe précisément le levier de la préservation de l’eau ?

Des vignes résilientes, peu gourmandes en eau

  • Absence d’irrigation obligatoire : La majorité des vignerons « nature » choisissent des cépages locaux et résistants, capables de se suffire du cycle naturel de la pluie. Dans la région marseillaise, où les restrictions d’irrigation sont courantes l’été, on observe que plus de 85 % des parcelles bio et naturelles sont non irriguées (chiffres CIVP - Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence).
  • Couverts végétaux et agroécologie : L’implantation de plantes couvrantes entre les rangées réduit l’évaporation, accroît l’infiltration de l’eau et limite les besoins en arrosage. D’après Diversify (projet européen, 2021), l’usage de couverts permet d’économiser jusqu’à 20 % d’eau/ha sur le cycle annuel.
  • Diminution des traitements phytosanitaires : En s’appuyant sur la biodynamie, le bio, et le refus des intrants de synthèse, la viticulture naturelle réduit drastiquement le recours aux pulvérisations (et donc la consommation d’eau).

En cave : des pratiques sobres et malignes

  • Moins d’eau pour laver, plus de bon sens : Nettoyer les cuves, les pressoirs, la pompe, c’est incontournable, car la sécurité alimentaire n’attend pas. Mais les caves « nature » utilisent des protocoles de nettoyage à la vapeur ou à haute pression (plutôt qu’à grande eau), pour minimiser les volumes. Plusieurs domaines du Beaujolais et du Languedoc avancent des réductions de 20 à 30 % des consommations d’eau par rapport à des exploitations conventionnelles, grâce à cette approche (source : Inter Beaujolais, étude 2020).
  • Pas d’intrants, moins d’effluents : L’absence de colles chimiques, de stabilisants et d’additifs simplifie la gestion des eaux usées, qui ne contiennent plus ces molécules à traiter.
  • Chais à énergie douce : L’absence de climatisation intensive (souvent utilisée pour dompter les fermentations chimiques) et la conception bioclimatique de certaines caves naturelles limitent les besoins en lavage lié à la gestion des températures.

Des chiffres qui parlent : combien d’eau économisée grâce au vin naturel ?

Mettre des litres sur des engagements, voilà qui peut convaincre les sceptiques ! Selon l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin), la viticulture conventionnelle peut consommer jusqu’à 1000 m³ d’eau par hectare et par an rien que pour la vigne (hors cave) en zone chaude. À l’inverse, les vignobles naturels ou bio secs tournent plutôt entre 400 et 600 m³/ha/an, grâce à leurs pratiques adaptées (source : IFV, 2022).

En cave, la différence se creuse encore. Sur 100 hectares, une exploitation classique mobilise jusqu’à 1 500 000 L d’eau (nettoyage, refroidissement, dilution d’intrants). Dans le même temps, des chais naturels équipés de systèmes de récupération réduisent ce chiffre à 1 000 000 L, voire moins (source : IFV, ADEME).

L’impact cumulé reste difficile à chiffrer précisément, mais les initiatives pionnières montrent des économies substantielles, à la fois lors de la culture (jusqu’à 40 % d’eau en moins), du nettoyage et lors du traitement des effluents.

Des exemples concrets : quand la sobriété devient source d’innovation

  • La Ferme de la Sansonnière (Anjou) : c’est un incontournable chez les amateurs de vins naturels : Mark Angéli a introduit la jachère, les engrais verts et la limitation drastique des traitements, réussissant à produire chaque millésime sans irrigation, même en 2022, l’année la plus sèche enregistrée depuis une décennie en Anjou (source : Ouest France, 2022).
  • Domaine des Terres Promises (La Roquebrussanne, Var) : Jean-Christophe Comor privilégie les plantations en « agroforesterie », avec des arbres pour garder l’humidité du sol et réduire de moitié ses besoins en eau par rapport à ses voisins conventionnels (source : La Provence, 2023).
  • Château Barouillet (Bergerac) : mise en place de techniques d’économie circulaire : lavage à la vapeur, récupération d’eau de pluie, et réutilisation d’eau grise pour certains lavages du matériel.

Dans la région de Marseille, de petites caves comme Léoube (Bormes-les-Mimosas) montrent un exemple inspirant, avec l’utilisation de paillis végétaux et de limaces naturelles pour réduire l’évaporation et l’érosion.

Pourquoi ce choix fait sens dans la crise climatique ?

Derrière la sobriété, c’est toute une philosophie de la vigne et du vin qui s’exprime. Car si l’eau manque, c’est tout l’écosystème qui en souffre : une vigne poussée à grand renfort d’arrosages superficiels devient souvent fragile face aux maladies, appauvrit le sol et compromet la biodiversité. En allant vers la vinification naturelle, on préfère des grappes moins juteuses mais gorgées de matière, et surtout une culture en harmonie avec la ressource locale. Les vignerons y gagnent, les nappes phréatiques aussi.

  • Préservation de la ressource : dans un contexte où, selon l’ONU, près de 60 % des vignobles mondiaux connaissent aujourd’hui des épisodes de sécheresse au moins une fois par décennie, chaque économie d’eau est cruciale.
  • Moins de pollutions, moins de rejets : des effluents moins chargés, des traitements naturels, et des sols vivants prêtent à la vigne une vraie « immunité écologique ».
  • Mieux vaut prévenir que guérir : la résilience à la sécheresse s’anticipe avant tout à la parcelle, en adaptant les cépages et les itinéraires techniques, pas après coup à grands seaux.

D’ailleurs, l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRAE) et l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV) encouragent désormais la réduction des arrosages et le recours à l’agroécologie pour limiter les tensions sur la ressource.

Vers un vin qui a (vraiment) bon goût… et bonne conscience

S’offrir un vin naturel, ce n’est pas seulement un plaisir pour les papilles ou une lubie d’esthète. C’est poser un acte fort pour l’environnement : limiter la part d’eau invisible qui se glisse dans chaque bouteille, encourager des pratiques économes, et préserver les équilibres hydriques de terroirs parfois fragiles. Marseille et sa région, où le soleil cogne dur et où les nappes phréatiques sont précieuses, sont des terrains d’expérimentation idéaux pour ces modes de production responsables.

Qu’on soit épicurien, défenseur de la planète, amateur de bonnes histoires ou simple assoiffé, pas besoin de devenir œnologue pour contribuer : lever son verre à la vinification naturelle, c’est aussi lever un (petit) glaçon contre la fonte des ressources en eau.

Quelques sources utiles pour aller plus loin :

En savoir plus à ce sujet :